Ces derniers temps, plusieurs groupes bancaires ont créés des équipes de consultants internes pour répondre à leurs besoins en matière de conseil. Un mouvement du conseil vers l’entreprise qui s’observe également dans l’industrie, GDF Suez, SAFRAN ou EDF ayant engagé la même démarche. Tendance de fond ou effet de mode ? Pourquoi cette filière interne, dédaignée dans le passé, rencontre-t-elle autant de succès aujourd’hui auprès des consultants expérimentés ?
Pour répondre à ces questions, nous avons confronté l'avis de deux consultants experts : un consultant banquier (Laurent Coenca, Alenium Consultants) et un banquier consultant (Thierry Lachaux, responsable de la filière Consulting au sein du groupe BNP Paribas)...
Le Consultant bancaire : Laurent Coenca (Consultant bancaire, associé Alenium Consultants)
« 17 % des étudiants des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce choisissent le conseil comme premier métier. Selon la fédération Syntec, le conseil en management représente 60% du marché. On peut définir ainsi le métier : accompagner l’entreprise dans la déclinaison opérationnelle de sa stratégie et définir et accompagner les projets de transformation pour améliorer sa performance.
Le consultant entre en général dans un cabinet de conseil dès sa sortie d’école pour apprendre le métier : sa posture, ses méthodologies etc. Au départ, il aura un parcours de formation structuré et des missions variées. La spécialisation sur une thématique (Achats, Risques, Finances,…) ou sur un secteur ne commence qu’à partir du moment où il devient consultant senior, soit après trois à cinq ans d’expérience. »
Le banquier consultant : Thierry Lachaux (BNP Paribas)
« BNP Paribas a fait le choix de créer une filière deconsultants internes pour trois raisons :
Dans notre groupe, la Banque d’Investissement a été la première à démarrer. La démarche s’est ensuite répandue et la filière conseil représente aujourd’hui 150 consultants répartis sur une dizaine d’équipes dans les grandes entités « métier », « fonction » ou « pays » du Groupe (Banque d’investissement, Banque de détail en France, Italie, Belgique, Services Financiers Spécialisés,…). Le dispositif a été complété en 2013 par une équipe centrale. Elle traite les problématiques transverses et aide les entités ne disposant pas d’équipe. L’ensemble fonctionne de façon décentralisée pour être au plus près des besoins des clients avec un reporting très léger, des méthodologies communes et un partage régulier des meilleures pratiques. En termes de ressources humaines, certaines entités se sont adressées en priorité aux collaborateurs internes pour constituer leurs équipes, d’autres ont privilégié le recrutement sur le marché. »
Laurent Coenca : Thierry, vous me dites que vous avez organisé la filière comme un cabinet de conseil avec d’ailleurs l’appui d’un consultant ? En conséquence de ce « copier-coller », peut-on dire que ces deux façons d’exercer le métier sont identiques ?
Thierry Lachaux : Oui, sur de nombreux aspects. Nous privilégions les mêmes profils et les mêmes qualités. Le processus de recrutement par cooptation, le cursus de formation, la conduite des missions en équipe, se déroulent de la même façon. Nous avons aussi adopté le modèle de gestion d’un cabinet avec une grille de prix par grade pour valoriser nos interventions. Nous nous positionnons sur des sujets de stratégie opérationnelle comme la définition de l’organisation-cible d’un métier ou l’étude d’impact d’une nouvelle réglementation. Nous conduisons le diagnostic et élaborons un plan de recommandations mais nous n’intervenons pas dans le suivi de la mise en œuvre (la fonction PMO). Nous avons convenu que cette responsabilité devait rester du ressort des opérationnels.
LC : Mais avant de mener une mission, il faut d’abord trouver un client, lui faire une proposition et le convaincre ? Il n’y a pas d’obligation d’achat, j’imagine...
TL : Vous avez raison, il n’y a pas d’obligation d’achat. La Direction Générale a bien sûr communiqué pour inciter les dirigeants du groupe à utiliser la filière, mais chaque entité fait appel au conseil interne si elle en perçoit bien l’intérêt par rapport à un consultant externe : un coût moindre, une connaissance plus intime du groupe et de sa culture, des recommandations plus adaptées à notre contexte et plus aisées à appliquer. Ces deux derniers points constituent de mon point de vue la principale valeur ajoutée de la filière. Cela veut dire que les consultants externes vont continuer à jouer un rôle important quand le lien avec l’interne est moins décisif. Par exemple, s’il s’agit d’un sujet émergent ou d’un besoin de « benchmark ».
LC : Bonne nouvelle pour le monde des Consultants ! Mais pour revenir à votre organisation, cela implique-t-il un rôle commercial pour vos managers et vos directeurs ?
TL : Absolument, surtout pour les directeurs. Ils doivent rendre visite aux dirigeants des entités, s’enquérir de leurs enjeux, promouvoir nos savoir-faire et faire une bonne proposition. Nous sommes cependant attentifs à ne pas créer une inflation de consulting : il n’y a pas d’objectifs de développement. Au demeurant les équipes se facturent et nous avons un objectif d’équilibre financier sur la filière.
LC: J’ai quand même le sentiment que c’est sur cet aspect « développement » et plus généralement sur le rythme de travail et le stress que les deux filières différent le plus. Il y a certainement chez vous de la pression mais peut-être moins d’à-coups dans l’organisation du travail… Et puis dans la logique « up or out » de certains cabinets, comment gérez-vous une progression rapide pour les meilleurs ?
TL : Nos clients et nous-mêmes sommes très exigeants et la pression est très forte chez nous aussi. Nos consultants travaillent beaucoup mais le rythme de travail est peut-être plus régulier, ce qui permet de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Ce n’est pas la rémunération qui pousse les consultants à venir chez nous. Quant à la perspective de carrière, elle existe vers des postes à responsabilités dans la Banque. Notre Direction des Ressources Humaines favorise cette transition (en général après 3 ou 6 ans de consulting) d’autant plus qu’elle partage totalement la notion de filière d’excellence du conseil et qu’elle s’est engagée à la promouvoir. Maintenant, un excellent consultant interne ne deviendra pas nécessairement un de nos dirigeants de demain. D’autres qualités devront être démontrées et le parcours ne sera pas plus facile que pour l’associé d’un cabinet !
Consultant bancaire et Banquier Consultant sont deux façons d’exercer le même métier. Les différences relevant plus du style de vie et du tempérament de chacun. Le passage par la banque permet l’acquisition d’une expertise métier et d’une vision transverse de la banque plus fortes que la position de consultant externe. Elle ouvre ainsi la voie à une carrière opérationnelle dans de bonnes conditions, avec a priori un bon équilibre de vie.
Rester dans le monde du conseil c’est en accepter les risques et parier sur les récompenses, notamment financières. Mais avant tout c’est être attaché aux gênes constitutifs des cabinets : une fibre entrepreneuriale, l'indépendance et la liberté de ton - iconoclaste parfois - plus faciles à exercer de l’extérieur. C’est sans doute aussi préférer la diversité des cultures des clients à un employeur unique.
Repères
Laurent Coenca (ECP 76, ENSAE 78) est associé Banque-Assurance chez Alenium Consultants, il développe des projets de transformation et de conseil en organisation, en particulier auprès des directions financières du secteur. Ses précédentes entreprises : Bossard Consultants/Capgemini Consulting et Unilog Management (devenu Logica Business Consulting) puis CGI où Laurent Coenca a construit une équipe de 200 consultants spécialisés en services financiers.
Son profil LinkedIn
Thierry Lachaux (X 82) est responsable de la fonction Conseil interne du Groupe et Directeur opérationnel de BNP Paribas Consulting. Après un début de carrière comme directeur d’agence puis de région à la Compagnie Bancaire, il crée la Banque Directe avant de rejoindre Cardiff (Pays de Galles) où il est chargé de développer le réseau des filiales à l’international. À l’occasion de la fusion BNP et Paribas, il devient Directeur de la stratégie et du développement du pôle Banque de Détail à l’international, puis du groupe. Thierry Lachaux devient ensuite Directeur Général Délégué d’Arval, filiale spécialisée dans le financement et la gestion des flottes automobiles d’entreprises.