[Compte-rendu Conférence] Transports et Territoires : réinventer la gouvernance au-delà du droit ?

Le mercredi 14 septembre 2016, dans les Salons de la Mairie du IXe arrondissement de Paris, le cabinet Alenium Consultants organisait une conférence : « Transports et Territoires : Réinventer la gouvernance au-delà du droit ? ». Compte-rendu détaillé de cet événement...

Les intervenants, Gilles Savary , député de la Gironde, Anne Yvrande-Billon , vice-présidente de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), Franck Tuffereau , délégué général de l’Association française du rail (Afra), Hugo Roncal , directeur général d’Eurolines-isilines, Roland de Barbentane , directeur général de Ouibus et Julien Honnart , président deWayzUp ont échangé leurs points de vue sur l’architecture et la dynamique que pourraient construire ensemble, à l’échelle des territoires et des marchés issus des lois Maptam et Notre, les nouveaux acteurs des mobilités.

Une dynamique de la rupture

L’entretien réalisé avec Michel Neugnot, vice-président Transport de Bourgogne-Franche-Comté et président la commission Transports de l’ARF, pose le cadre des interrogations nouvelles pour les AOT et dessine les pistes à suivre. Il évoque les ruptures multiples induites à la fois par le droit mais aussi par l’évolution du comportement des voyageurs de plus en plus connectés, agiles dans leurs choix et surtout consommateurs de mobilités. Ce « temps du changement » doit justement permettre d’envisager le rebond d’un système de transport qui est aujourd’hui « à bout de souffle ». Pour cela le droit à l’expérimentation à la concurrence sur les territoires, avant la date de 2019, est sollicité, dans une démarche pragmatique où chaque territoire doit pouvoir apporter une réponse particulière de mobilité à ses habitants. De ce point de vue, Michel Neugnot revendique en corollaire la liberté tarifaire pour les régions. Pour lui, défendre le modèle ferroviaire français, c’est poser les bases d’un nouveau dialogue avec l’opérateur historique dans la transparence et le partage. C’est aussi prendre le temps de comprendre la jurisprudence que construit le régulateur dans le cadre des autorisations de moins de 100 km pour les lignes d’autocar mises en place par les nouveaux opérateurs de la route issus de la loi Macron.

Pour ce qui concerne le covoiturage présent sur les territoires, Michel Neugnot pense que cette nouvelle forme de mobilité, avec laquelle il se dit prêt à envisager des partenariats est une solution dans les territoires peu denses, mais aussi une offre concurrentielle là où sont présents les TER. D’où l’importance pour lui d’avoir une approche avant tout pragmatique. De son point de vue ce « paysage qui change » est une opportunité pour co-construire des pratiques nouvelles, des gouvernances nouvelles sur les territoires. Ainsi, il défend l’idée d’une AO à part entière en capacité de développer un marketing des territoires à travers des couples produits-marchés, répondant aussi aux deux autres compétences des régions que sont la compétence économique et la compétence formation. Franck Tuffereau rebondit sur l’ouverture à la concurrence. L’Afra, créée en 2009 et qui regroupe les principaux acteurs ferroviaires alternatifs à la SNCF, plaide pour une assise législative nouvelle, un accès équitable au réseau et une renégociation du statut des personnels. Sur la base de l’expérience construite par Transdev en Allemagne où l’ouverture à la concurrence s’est faite de façon progressive et encadrée, il estime que tout le monde a à y gagner, opérateurs comme AO, dans le cadre du dialogue et de la construction d’offres concertées sur les territoires.

Gilles Savary souligne que la France cherche des exemples à l’étranger, avec des modes de tarification plus souples et une ouverture à la concurrence. Aujourd’hui tous les opérateurs, publics comme privés, les AOT, AOM et l’Etat (dans son rôle d’AO) doivent s’accorder à travailler ensemble alors que la tradition en France porte à réfléchir en silo. De ce point de vue les Schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) seront très certainement des rendez-vous décisifs. Quant à la loi, elle est là indispensable même si elle s'inscrit dans le temps long, au-delà des régulations informelles utiles. Toutefois si faire évoluer la Loti vers une « Lomi » (Mobilité) est envisageable, gérer le transfert des personnels sera le vrai problème. Chez les autocaristes, le constat est commun : les collectivités sont passées d’un « scepticisme inquiet à un intérêt prudent », et si l’on a trop souvent opposé public et privé, la question est bien aujourd’hui de trouver la complémentarité entre les modes et d’en organiser la gouvernance afin de répondre au plus près aux demandes de déplacements des voyageurs. Pour les opérateurs des carsMacron, il y a donc de la place pour tous, public comme privé, et de ce point de vue le régulateur organiserait cette complémentarité en s’appuyant sur les données, en étant un régulateur multimodal et en contrôlant les infrastructures nécessaires au-delà des interconnexions virtuelles.

Interpellée, Anne Yvrande-Billon, souligne que le rôle du régulateur ne saurait justement aller au-delà du droit. Elle souhaite montrer comment le régulateur multimodal est en mesure d’accompagner le marché. C’est la demande qui appelle la modification du marché, et qui de fait appelle un cadre de régulation. C’est le cas pour les demandes d’autorisations de liaisons par autocar demoins de 100 km. De ce point de vue l’Arafer regarde s’il y a atteinte substantielle à l’équilibre économique des services de transport de voyageurs conventionnés (la loi prévoit bien la complémentarité entre services conventionnés et services routiers libéralisés). Le rôle du régulateur est aussi de fournir des données (collectes et publications) et d’avoir une logique qui part du consommateur, afin de bien comprendre le marché et assurer son bon fonctionnement (1). Pour Gilles Savary, les réseaux ne peuvent fonctionner et s’améliorer que grâce à la connectivité. Or, la juxtaposition des données publiques et privées est de nature à fluidifier les offres.

C’est un sujet délicat, car les opérateurs sont réticents à rendre publiques leurs données qui se retrouvent tout d’abord dans les applications, mais risquent d’être ensuite captées en production. La réforme ferroviaire a permis de mettre en place un système eurocompatible et favorise la régulation multimodale. Reste toutefois des problématiques de régulation de l’open data et de la desserte des zones rurales.

Roland de Barbentane souligne en effet que s’il peut effectivement y avoir de la place pour tous dans un marché traditionnel en revanche le marché de l’Internet pose question. Plusieurs acteurs digitaux pourront-ils coexister sur un même marché à l’heure où l’on voit plusieurs marques consolider la quasi-totalité de leur secteur ? Un des enjeux sera dans les années à venir la capacité des opérateurs à travailler ensemble, à connecter leurs inventaires ; aujourd’hui aucune région n’est en capacité d’interconnecter son réseau subventionné. Le digital finira par mettre en synergie les offres pour l’intérêt des clients.

WayzUp, entreprise qui a investi le covoiturage domicile - travail, en partenariat avec les entreprises, en Ile-de-France et dans la région de Lille donne sa vision du sujet. Julien Honnart estime qu’il est possible d’envisager une offre concertée avec des AO. WayzUp est d’ailleurs en contact avec le Stif et l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (78). Selon lui, l’avenir passe par l’intégration tarifaire de tous les modes de transports, incluant le covoiturage. C’est pour cela qu’il compte sur le changement de culture des AO et mise sur les API. Pour lui les appels d’offres n’ont pas d’avenir dans un système où la donnée domine. Grâce aux API (2), il est en effet possible pour les opérateurs et les collectivités d’agréger l’ensemble des offres de covoiturage d’un même territoire, y compris de plateformes concurrentes. C’est l’usager, qui en choisissant celle qui a le plus grand réseau et le meilleur service, favorisera son développement. La gestion du temps de la gouvernance des transports est aussi remise en question. Traditionnellement, c'est le temps long qui prévaut. Compte tenu des sommes engagées par les pouvoirs publics locaux et des obligations de servicepublic qui incombent aux opérateurs, les DSP sont conclues pour des durées longues. A l'heure de la mobilité numérique et de l'ouverture des marchés, le voyageur, acteur de sa propre mobilité, crée le marché. Dès lors, si le besoin est identifié, des lignes routières peuvent ouvrir en quelques mois. Pour Ouibus, le temps court et le temps long ne sont toutefois pas incompatibles mais nécessitent une appropriation des données numériques par les collectivités territoriales.

Pour une mobilité du renouveau

Tous les interlocuteurs s’accordent à penser que le système de gouvernance doit aujourd’hui être régénéré. Gilles Savary souligne combien longtemps les transports ont obéi à une logique d’offre déterminée par le politique puis réalisée par des ingénieurs. Aujourd’hui, c’est l’usager qui détermine les besoins de mobilité, dans un paysage nouveau et mouvant où les pratiques digitales de la mobilité servicielle dominent. Ce qui pose des questions quant à la capacité de chacun des acteurs de se révéler innovant, dans ses pratiques comme dans ses relations avec les autres acteurs. Ainsi, concernant les collectivités locales par exemple, Gilles Savary s’interroge sur leur montée en compétence et sur leur expertise dans le cadre concurrentiel ferroviaire qui s’annonce. De ce point de vue, une mission nationale pour aider les régions serait utile. Quant aux offres de liaisons la question se pose de savoir quelle(s) transversale(s) routières (car) fonctionne(nt). Et concernant la régulation du covoiturage on ne sait pas à partir de quel moment l’application peut être considérée comme un transporteur…

Hugo Roncal témoigne du changement de regard des élus sur les liaisons par autocar, des élus qui sollicitent les opérateurs pour organiser la mobilité sur les transversales notamment, où l’offre de trains Intercités n’est pas toujours présente et/ou suffisante. L’Arafer va dans le même sens, les liaisons transversales fonctionnent bien et leur trafic augmente (Toulouse - Bordeaux, Marseille - Nice). En sus, de plus en plus de villes de moins de 10 000 habitants (plus de 50 nouvelles villes) sont desservies par les cars Macron. En matière ferroviaire, pour l’Afra, les adhérents de l’Association sont effectivement sollicités pour travailler sur des offres de transport différenciées. L’Arafer explique que son rôle de régulateur est de pouvoir accompagner l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence. Elle rappelle à ce sujet que l’expérimentation portera sur l’exploitation mais en aucun cas sur le réseau ferroviaire qui restera un monopole naturel. Elle veillera à l’accès aux installations de service (gares de voyageurs, stations de distribution de combustible, centres de maintenance, par exemple), à la question du matériel roulant, la taille et le type des lots.

Au-delà de ce changement de regard sur la concurrence, tous les interlocuteurs soulignent l’enjeu déterminant de l’accès et de l’utilisation des données pour relever le défi du renouveau. Le régulateur par exemple évoque la difficulté pour les AO de réaliser des dossiers complets concernant les lignes de plus de 100 km. Faute de données, il est souvent difficile pour une AO de montrer l’impact d’une liaison. Le problème étant celui de l’ingénierie de l’information, un travail de pédagogie a été engagé par l’Arafer avec les régions.

Pour Julien Honnart, en matière de données, il faut être meilleur que Google. De son point de vue l’open data offre seulement des données en nombre alors que les API ont une plus-value certaine et offrent des pistes de réflexion intéressantes. Ouibus avance qu’il est illusoire de chercher à neutraliser Google. En revanche, rien n’interdit de faire en sorte que les systèmes de vente puissent se parler entre eux, pour le bénéfice de tous. Pour isilines, si aucune entreprise n’est prête à brader son fichier clients, il faut s’inspirer de ce qui a été fait sur la transparence des données dans l’aérien, l’énergie, les télécoms. Mais les opérateurs ne dévoileront pas les données qui constituent le sésame de leur activité.Enfin en matière de renouveau du modèle économique, l’innovation reste encore à promouvoir. Julien Honnart souligne combien la desserte du périurbain est un enjeu auquel les opérateurs doivent être sensibles dans leurs offres. Il relève également que le modèle fiscal du transport est irréaliste, les entreprises par exemple qui travaillent avec WayzUp payent le versement transport et en même temps le service deWayzUp. Interpellé sur son modèle économique il explique que la start-up fonctionne en B to B. Il s’agit de favoriser l’accessibilité des entreprises, pour faciliter le recrutement et la fidélisation des collaborateurs, dans une logique de bien-être au travail. La solution est alors entièrement gratuite pour les salariés. Sur le modèle économique des autocars, Ouibus et Eurolines-isilines reconnaissent que le temps long est nécessaire pour dégager des bénéfices et que si ce n’est pas encore le cas pour eux, la trajectoire est favorable.

De nouveaux enjeux à venir

L’après-midi est conclue par Gilles Savary. Pour lui, il faut que le Parlement et les pouvoirs publics se saisissent des questions au fur et à mesure de leurs évolutions. Il évoque 5 sujets qu’il juge essentiels :

  • Si la loi peut être retouchée à la marge et la Loti modifiée, le plus grand chantier restera celui du transfert des personnels, et sera déterminant dans l’ouverture à la concurrence. De la même façon, il estime que les relations entre les AO et la SNCF doivent s’apaiser.
  • Il envisage aussi la deuxième étape de la régionalisation de la politique des transports et du financement des transports. Il y aura un débat sur les recettes des régions pour exercer ce rôle de plus en plus prégnant.
  • La gouvernance des gares sera aussi au centre de la question en matière d’urbain, périurbain et multimodal. Il faudra que cette gouvernance soit eurocompatible.
  • Il évoque la question de la reprise de la dette de la SNCF.
  • Le plus gros sujet sera celui de l’intégration des données aux politiques publiques, il faudra mettre de la cohérence entre opérateurs privés et opérateurs de service public : là est la difficulté. L’usager doit être au départ des réflexions.

Tous les acteurs s’accordent à penser que dans ce paysage qui change, les opportunités pour les régions et pour les opérateurs – sous le regard du régulateur – sont un élément dynamique du nouveau visage que le système de transport pourrait avoir sur les territoires. En matière de gouvernance tout ne se fait pas par la loi. Même si après 2017 une Lomi  pourrait voir le jour, la régulation informelle doit trouver sa place, notamment avec le relais des élus sur les territoires. Enfin, le sujet des données et de leur croisement éventuel entre opérateurs, dans le cadre d’une offre de transport réactive et adaptée sur les territoires est un nouveau sujet. Tous les acteurs aujourd’hui n’ont pas la même maturité face à ces nouveaux enjeux.

Pour Alenium Consultants, ce sera là sans aucun doute un élément déterminant pour l’avenir de la gouvernance des Mobilités sur les territoires.


(1) De fait, au cours du deuxième semestre 2016 selon la dernière collecte de données de l’Observatoire des transports et de la mobilité de l’Arafer, moins de 2 000 voyageurs ont emprunté une ligne par autocar sur une distance de moins de 100 km, contre 1,5 millions sur l’ensemble des lignes libéralisées (3,5 millions depuis l’ouverture du marché en août 2015).(2) Application Programme Interface.


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